C. Büschges u.a. (Hrg.): Liberation Theology and the Others

Cover
Titel
Liberation Theology and the Other. Contextualizing Catholic Activism in 20th Century Latin America


Herausgeber
Büschges, Christian; Müller, Andrea Müller; Oehri, Noah
Erschienen
Lanham 2021: Lexington Books
Anzahl Seiten
326
von
Chatelan Olivier

Cet ouvrage collectif édité par des historiens de l’Université de Berne rassemble une introduction et 13 contributions rédigées par des spécialistes travaillant en Europe, aux États-Unis et en Amérique latine. Cette dimension internationale qui élargit les regards et autorise le comparatisme est déjà en soi un apport considérable dans une historiographie marquée par des cloisonnements géographiques souvent récusés mais rarement dépassés. S’il y a un flottement non élucidé sur les termes – les théologies de la libération se confondent-elles avec le militantisme catholique de gauche ou l’Église progressiste? –, il reste que tout un courant postconciliaire de réforme des méthodes pastorales initiées à partir de la prise en considération pour elles-mêmes des populations indigènes traditionnellement marginalisées a effectivement donné lieu à un vaste réseau d’organisations ainsi qu’à des projets d’éducation et de développement.

L’enjeu du livre est précisément d’approfondir la dimension territoriale et sociale de l’implantation des théologiens, missionnaires, catéchistes ou militants. On ne peut que souscrire au constat des auteurs que cette exploration des multiples contextes locaux est nécessaire pour historiciser et mettre en perspective de façon précise les phénomènes. La démarche adoptée n’est pas celle, datée, d’envisager la religion comme justification du changement social ou de discuter de sa nature politique. Dans l’introduction, les auteurs mettent en évidence la dimension transnationale des engagements laïcs et religieux et souhaitent vérifier comment ces pratiques d’apostolat entrent en interaction avec des discours contemporains sur le développement, les classes sociales ou l’ethnicité. C’est dire l’ambition d’une approche qui ne s’en tient pas aux seuls discours et représentations mais qui, par des contextualisations fines et documentées, prétend porter la focale sur des milieux sociopolitiques particuliers. D’où le découpage en trois parties, cette mise en contexte s’effectuant d’abord à partir du public visé, puis en partant des outils pour, enfin, aborder les connexions qui donnent ou non une ampleur et une dimension transnationales aux études de cas régionales.

Trois idées sous-jacentes à plusieurs textes méritent d’être soulignées tant elles paraissent heuristiquement fécondes. D’abord, une reprise du vieux débat historiographique et sociologique sur la religion populaire mais à partir de l’enquête anthropologique développée par les missionnaires étrangers sur place. L’opposition classique entre l’authenticité de la foi vécue et l’imposition par une élite socio-culturelle d’un modèle de croyance épurée est ici dépassé pour tenir ensemble un moment de l’histoire des sciences humaines marqué par la production d’acteurs ecclésiaux, la promotion de cultures indigènes et le projet ecclésial de réforme pastorale et de formation des catéchistes. Le «clash culturel» et la propre conversion des clercs plongés dans un monde dont ils n’ont au départ qu’une connaissance livresque est ainsi historicisé car replacé dans une histoire transnationale du catholicisme et, plus largement, dans une histoire de la construction des savoirs au contact de l’Autre, qui donne avec bonheur son nom au livre.

Ensuite, il faut souligner la pertinence d’analyses neuves sur l’implantation de pastorales proprement afro-américaines qui combinent inculturation et développement. Les auteurs soulignent à juste titre que loin d’être toujours porteuse d’émancipation collective, la critique portée par les catéchistes face au développementisme (dans la communauté aymara en Bolivie par exemple) fait parfois le jeu de gouvernances néo-libérales. C’est l’un des grands mérites de ces contributions que de ne pas donner à voir une histoire lisse ou manichéenne de la théologie de la libération mais au contraire de dégager des confits ou des enjeux habituellement dans l’ombre. Les notions d’innovation ou de réforme pastorale, dont la polysémie est patente, courent ainsi dans plusieurs textes et obligent à réinterroger la périodisation classiquement admise: faut-il vraiment faire commencer la remise en question des méthodes d’apostolat avec l’émergence puis l’ascendant du langage de libération entre la conférence de Medellín (1968) et l’ouvrage de Gustavo Guttiérez de 1971?

Enfin, un autre apport du livre est de montrer précisément ce que la formulation de nouvelles approches pastorales initie comme processus de repositionnement personnel des missionnaires, pour reprendre une idée clé de l’introduction. Les lieux n’y sont pas étrangers: espaces périphériques populaires relégués ou monde rural enclavé constituent la géographie de ces conversions individuelles où la piété se mêle à l’engagement et le développement aux promesses de l’émancipation. De nouveaux espaces publics sont créés de toutes pièces, comme la Radio Onda Azul au Pérou, qui devient le support de contrediscours face à la propagande gouvernementale. La nature politique des acteurs de ces pratiques pastorales, bien que les auteurs se défendent d’y revenir, est une évidence: à partir du moment où ces groupes de clercs et de laïcs, hommes et femmes, engagent une réflexion et discutent de la culture indigène, du rapport à l’ethnicité ou de la place des plus démunis dans l’espace public, ces passeurs intellectuels et cultuels acquièrent de facto une dimension politique, parce que critique.

Une majorité de communications portent sur les Andes et plus largement sur la question indienne, mais sans exclusivité, puisque deux communications traitent du Brésil et de l’Uruguay. De même, les communautés ecclésiales de base ne sont pas les seuls espaces retenus puisque les instituts (comme l’Instituto pastoral andino de Cuzco), les séminaires (au Mexique) et les mouvements internationaux étudiants (MIEC-JECI) sont des laboratoires de ce brassage.

Parce qu’il contextualise et suit pas à pas, sources à l’appui, des mises en pratique de la théologie de la libération au-delà des seules «influences» supposées et mal documentées, ce livre a toute sa place dans l’historiographie religieuse et sociale des études latino-américaines.

Zitierweise:
Chatelan, Olivier: Rezension zu: Büschges, Christian; Müller, Andrea; Oehri, Noah (éds): Liberation Theology and the Others. Contextualizing Catholic Activism in 20th Century Latin America, Lanham 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(1), 2023, S. 76-77. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00120>.